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Pendant longtemps, lorsque je parlais de l’histoire de la Savoie, j’avais l’impression qu’on me regardait comme un diseur de fables: la Savoie n’appartenait pas tant à l’histoire qu’à la mythologie. Car l’histoire n’est pas tant ce qui s’est réellement produit que ce qui est attesté par un État. L’histoire de France étant au programme de l’Éducation nationale, elle est consacrée, et vraie; l’histoire de la Savoie n’étant pas dans ce cas, elle échappe à la convention collective et apparaît comme pur roman.
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Il n’est pas si exact qu’on croit que les faits historiques ont pour caractéristique d’être scientifiquement prouvés: les historiens émettent des hypothèses, déduisent des faits d’autres faits, adoptent des théories qui expliquent la marche des événements; mais cela apparaît facilement comme vérité objective dès que l’État, au travers de ses institutions, l’avalise.
Ce n’est pas qu’aucune institution ne s’occupe de l’histoire de la Savoie; mais que les institutions sont hiérarchisées. L’Académie de Savoie n’est pas l’Université de France; et à l’intérieur de l’Université, ce qu’énoncent les simples docteurs n’équivaut pas à ce qu’énoncent les agrégés, ou bien les normaliens.
C’est ainsi que personne n’est choqué quand on affirme, sans avoir pu pénétrer les âmes de l’époque, que les peuples médiévaux étaient surtout mus par l’appât du gain; Dieu sait pourtant que peu l’avouaient, et la plupart assuraient avoir de plus nobles ressorts, au sein de leur cœur! Car ils ont laissé des textes, exposant leurs pensées, et les historiens ne se donnent pas forcément la peine de les lire.
Mais si on dit que les fondateurs de la République en 1789 étaient dans le même cas, que seul l’appât du gain les animait, on est déjà plus suspect; si on le dit du général de Gaulle ou des compagnons de la Libération, c'est un scandale, car on est en réalité convié à prendre au sérieux les pensées qu’ils avaient sur eux-mêmes et l’Histoire. Le fait est que leurs pensées ont laissé un souvenir: elles ne dorment pas dans des textes qu’on ne veut plus lire!
Je crois que passe pour réaliste de ne pas avoir le même respect pour François de Sales ou les ducs de Savoie; car qui lit encore les textes dans lesquels ils exprimaient leurs pensées?
Il est vrai, aussi, que l’histoire de la Savoie a quelque chose d’exotique: les ducs ont été rois de Chypre et de Jérusalem, ont été liés au monde grec - à l’Orient -, et cela leur donne un lustre. Au sein de leur dynastie, beaucoup de gens canonisés ou béatifiés créent une atmosphère gothique et religieuse; même Charles-Albert, au dix-neuvième siècle, avait quelque chose de romantique qui manquait à Louis XVIII ou à Louis-Philippe - et le rapprochait de Louis II de Bavière. Lorsque Costa de Beauregard raconte son authentique histoire, il a l’air d’écrire un roman, une épopée.
Et puis l’histoire nationale a quelque chose d’abstrait, dès qu’on s’éloigne de Paris et du val de Loire: aucun des événements évoqués ne se recoupe avec la vie réelle, le paysage, les monuments qu’on a sous les yeux; c’est à cela qu’on reconnaît une histoire créée par l’esprit mathématique: elle n’a aucun rapport avec la région qu’en général on habite! Car pour celle-ci, l’histoire est comme les légendes, elle s’insère dans le paysage et l’explique. C’est pour cela que Paris est plus mythique que le reste: seule son histoire fait l’objet d’un enseignement obligatoire! À Dieu ne plaise qu’on veuille donner à la Savoie le même éclat: l’intention en est hostile à l’ordre public et à la cohésion nationale.