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« Credo ergo sum »: Savoie romantique

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La Savoie du dix-neuvième siècle était dominée par ses évêques. Il exista une génération de prélats ayant grandi sous la Révolution et qui, peu après la Restauration, a pris les postes qui importaient et est demeurée jusqu’à la fin du siècle. Le plus éminent d’entre eux fut Alexis Billiet (1783-1873), une figure à mi-chemin entre le romantisme et le néoclassicisme - qui comme Victor Hugo militait pour répandre l’éducation parmi le peuple dans l’idée que par elle seule il pouvait s’élever moralement, qui pensait que toute science menait à Dieu, qui ne s’opposait pas à l’émancipation des juifs et des protestants, qui ne voulait pas que l’Immaculée Conception devînt un dogme, mais qui veillait à empêcher que les idées subversives ne pénètrent la Savoie et à ce que l’Église continue à y diriger la vie culturelle.
 
Cette génération était fidèle à François de Sales dans son opposition à Descartes: car si la raison était admise par elle comme étant bonne en soi, elle devait rester au service de la foi. On se souvient que le philosophe français avait établi une méthode partant d’une évidence sur laquelle devait s’élaborer tout raisonnement; or, la seule évidence pour les prélats savoyards était ce en quoi on croyait. Ce qu’on croit évident du reste est-il autre chose que ce qu’on croit tel? Même l’existence de la pensée peut être niée, disaient André Charvaz (1793-1870) et Antoine Martinet (1802-1871), des proches de Billiet; je peux ne faire que croire que je pense. J’existe avant tout parce que je crois qu’il en est ainsi, ou même qu’il n’en est pas ainsi: croire est ma première action volontaire: credo ergo sum.
 
L’évidence cartésienne avait aussi posé des problèmes à Lamennais: il la ramenait à ce que l’humanité croyait de façon globale; le professeur Raymond (1769-1839), proche aussi de Billiet, disait qu’il fallait d’abord que la pensée individuelle reconnût la validité de la croyance collective! Mais sur quelle base? Tout partait du sentiment intime du vrai tel que Rousseau l’avait défini dans La Profession de foi du vicaire savoyard - dont l’origine savoisienne semble être ici encore démontrée: car les prélats du dix-neuvième siècle étaient les dignes héritiers de ceux du dix-huitième...
 
Naturellement, les prêtres devaient faire du dogme une base pour la pensée. Cela limitait celle-ci à la théologie; la philosophie même devait s’occuper de vérifier que la morale universelle s’accordait avec la doctrine catholique fondamentale. Mais que Billiet ait pensé mauvais d’ériger l’Immaculée Conception en dogme montre sa conscience qu’il ne fallait pas trop imposer de croyances toutes faites de l’extérieur.
 
Il n’a pas néanmoins protesté une fois qu’il en a été décidé autrement: il s’est contenté d’organiser les fêtes en l’honneur de Marie! En Savoie, la théologie devait s’en tenir à saint Thomas d’Aquin et ne pas entrer dans des questions ambiguës, notamment l’infaillibilité papale…
 
Un tel catholicisme, plus médiéval que de son temps, manquait somme toute d’appui à Rome, et devait logiquement s’effacer. Descartes est devenu la référence aussi en Savoie, un siècle plus tard. Quand à Paris tel philosophe dit que l’inexistence de Dieu relève de l’évidence, reprenant à son compte la méthode cartésienne, il semble conjurer néanmoins l’idée d’André Charvaz: à cette évidence, je ne crois pas, puisque cette évidence conteste le credo! Pourtant, de l’extérieur, et indépendamment du contenu, cette évidence semble aussi être ce que ce philosophe croit.

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